jeudi 29 novembre 2012

13 octobre 1837: la chute de Constantine



A la Casbah, un autre spectacle m'attendait... Les détachements armés des différentes colonnes commençaient à y arriver... Mais le pillage aussi avait commencé et expliquait comment si peu de soldats se trouvaient à la Casbah. Le général Rulhières y arriva vers midi ; il criait beaucoup après les pillards, menaçait de prendre les mesures les plus sévères, mais rien n'arrêtait le soldat ; il était victorieux, il avait beaucoup souffert, il avait acheté sa conquête au prix de son sang, il y aurait eu folie à vouloir l'arrêter. Le pillage, exercé d'abord par les soldats, s'étendit ensuite aux officiers, et quand on évacua Constantine, il s'est trouvé, comme toujours, que la part la plus riche et la plus abondante était échue à la tête de l'armée et aux officiers de l'état-major...
Je ne m'appesantirai pas davantage sur ces scènes le pillage et de désordre ; elles ont duré trois jours. Jetons un voile épais et ne ternissons pas notre gloire et nos souvenirs.



Combat dans la Grande rue de Constantine le 13 octobre 1837. Denis-Auguste-Marie RAFFET

Dans toutes les maisons le pillage était facile, car telle était la confiance des habitants dans la force de leur ville et de leurs défenseurs, et ils croyaient peu à la prise, que partout on a trouvé le couscous au feu et le café prêt.
Du côté de la Casbah, côté opposé à celui par lequel nous étions entrés, un spectacle affreux s'offrait à nos yeux : environ deux cents femmes ou enfants gisaient brisés sur les rochers qui ferment la ville sur cette face. Les Arabes nous voyant gagner du terrain dans la ville, et commençant à croire à leur défaite, étaient venus essayer de sauver leurs femmes et leurs enfants, et ils avaient tenté, par ces ravins impraticables, une fuite impossible. La terreur, précipitant leurs pas, les avait rendus encore plus incertains, et bien des femmes, bien des enfants avaient péri de cette horrible manière.
Quelques-uns respiraient encore quand nous arrivâmes ; quelques-uns aussi, mais plus rares, étaient arrivés, comme par miracle, sains et saufs sur le sommet aplati de rochers qui ne communiquaient à rien. On fit la chaîne, on se servit de cordes pour les tirer de là, et la crainte qu'ils avaient de nous était le plus grand obstacle apporté à leur délivrance.
L'aspect de la place de la Casbah offrait le tableau militaire le plus varié et le plus curieux ; les soldats, privés de tout depuis longtemps, se retrouvaient dans l'abondance, et s'empressaient de réparer la diète qu'ils avaient été obligés de faire. Les uns arrivaient chargés de galettes maures, les autres de pots de beurre, beaucoup de viandes conservées ; on se réunissait, on cuisinait, et bien des feux s'élevaient dans les angles de la place, et sur le plateau dominant le ravin.
Je ne veux pas parler des bazars qui s'organisaient à coté des cuisines`, mais j'ai remarqué que les bons soldats n'avaient pris que des vivres ; les mauvais venaient chargés de tapis, de burnous, de grandes couvertures, de haïks ; que sais-je, tout était pillé, rien n'était respecté. Des Soldats ont trouvé des coffres pleins d'argent. Il en est qui ont rapporté plusieurs mille francs en monnaie du pays.
Le camp offrit pendant plusieurs jours l'aspect d'un vrai marché. Des Juifs y abondaient. Ils venaient pour tromper le soldat, et plusieurs d'entre eux furent pris eux-mêmes pour dupes. On avait trouvé dans les maisons beaucoup de petites pièces jaunes imitant parfaitement l'or ; les Juifs qui avaient suivi l’armée les prirent pour des roubles turcs valant 2 francs 50 centimes, et les payaient aux soldats qu'à 2 francs. Ces pièces n'avaient aucune valeur, c’était du cuivre, et les Maures ne s'en servaient que comme des jetons pour jouer.
Cependant on cherchait à arrêter le désordre et le pillage. Le général Rulhières fut nommé gouverneur Constantine, le chef de bataillon Bedeau, commandant de la place ; les ordres les plus sévères furent donnés. Le 47° de ligne, le 2° léger, les zouaves entrèrent en ville, le 13 et le 14 ; on logea les soldats dans les plus grandes maisons dont on fit des casernes. Les officiers s'emparaient des maisons vides voisines des casernes de leur régiment. Le logement ne manquait pas, car toutes les belles maisons étaient vacantes et abandonnées. Tout ce qu’il y avait de plus riche à Constantine était parti pendant le siège. Il ne restait plus dans la ville que les Turcs, les Kabyles, et la partie combattante. Les citoyens restés ne se composaient que de Juifs, vieillards et de pauvres gens.
Quand l'état-major nombreux de tous les corps spéciaux, I’intendance, l'administration, eurent choisi les plus beaux logements, il en restait encore assez pour loger la véritable armée, l’armée combattante et souffrante.
Le soir de la journée du 13, nous retournâmes dans nos positions sur le Condiat-Aty, ce ne fut que le 16 que nous reçûmes 1'ordre d'entrer en ville.
Pendant ce temps le commandant de la place quoique entravé à chaque instant dans ses bonnes intentions, prit les mesures les plus sages et les plus à propos. Tous les Juifs, convoqués par leur roi, d'après les ordres du commandant Bedeau, furent occupés pendant trois jours à enlever les morts de toute nation, et à les enterrer dans un immense trou creusé près de la ville. Le nombre des morts surpasse toute prévision, puisque le trou ne suffit pas, les cadavres entassés ne sont pas enterrés assez profondément trop peu de terre les recouvre, et Constantine pourra bien se ressentir de cet inconvénient, quand arriveront les chaleurs.
Pendant bien des jours on trouvait des cadavres dans des maisons abandonnées. Les Juifs appelés portaient hors de la ville, où des trous les recevaient
C'était un affreux spectacle que de voir le lendemain et le surlendemain de l'assaut, au bas de brèche, les morts des deux nations, étendus séparément, attendre leur sépulture commune. Parmi nos soldats, nous reconnaissions bien des braves qui méritaient un meilleur sort. Le nombre s'élevait à environ cent cinquante. Les Arabes, beaucoup plus nombreux, se comptaient par cinq cents. On pouvait reconnaître aux blessures et à l'âge de quelques-uns toutes les horreurs d'un assaut.
Les Juifs furent aussi employés à nettoyer la ville qui en avait le plus grand besoin. Cette opération eût été beaucoup plus prompte si on avait eu des ânes en plus grand nombre pour transporter les immondices ; mais quoique Constantine, comme toutes les villes arabes, en fût abondamment pourvue, on n'en trouvait que peu ; nos soldats les avaient tous pris.

Sources :

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