TROIS LETTRES DE HADJ AHMED BEY DE CONSTANTINE
A LA SUBLIME PORTE
« L'histoire se fait avec les documents », principe incontestable
depuis que les historiens nous ont révélé la valeur de l'importance des
archives contemporaines qui sont la source directe et fondamentale à
laquelle doit se référer tout historien.
Parti de ce principe, avec l'idée de l'importance des archives
Turques que la lecture du livre de Jean Sauvaget m'a inspirée *, j'ai
effectué quelques recherches au Bagvekâlets, Argivi «archives de la
présidence du conseil », à Istanbul parmi les documents concernant
l'Afrique du Nord.
Lors de mes recherches, j'ai été frappé par l'abondance de la
correspondance de Hadj Ahmed bey de Constantine avec la Sublime Porte.
Cette correspondance, qui comprend plus d'une dizaine de lettres en
arabe et quelques-unes en turc, est éparpillée dans l'ensemble des
documents ottomans. Ces lettres n'ont fait l'objet ni de publication, ni
d'étude englobant toutes les données historiques de ces documents fort
intéressants.
Je tiens aujourd'hui à publier les deux lettres de Hadj Ahmed
envoyées au Sultan Mahmoud II le Ier djoumada 1249 (16 septembre 1833)
ainsi qu'une lettre en turc adressée au Ministère de la Guerre à
Istanbul, après la prise de Constantine en octobre 1837.
Ces lettres revêtent une valeur historique capitale ; elles reflètent
l'analyse de la situation générale de l'Algérie vue par Hadj Ahmed et
son divan; elles représentent en outre un document sincère et sans
équivalent sur les événements divers survenus pendant la période de la
conquête.
On sait que lors de la décision française d'attaquer Alger, le consul
de France à Tunis M. de Lesseps fut chargé de sonder les dis positions
du bey de Constantine et de lui faire entendre que, loin de soutenir le
Dey d'Alger dans sa guerre contre les Français, il devait profiter de la
circonstance pour se rendre indépendant . Mais Ahmed demeurai alors
fidèle à Alger; il fut forcé de participer à un combat inégal et non
préparé; il a montré notamment l'insuffisance des moyens de défense du
gendre du Dey. Peu après eut lieu la prise d'Alger et l'entrée du
Général Bourmont dans la Casbah. C'était pour Ahmed un événement
inattendu et incroyable; il se rendit avec un nouveau contingent à
Constantine où les Turcs qu'il avait laissés s'étaient révoltés contre
son autorité et avaient élu pour bey son lieutenant Hamoud Ben Chaker ,
mais une prompte révolution s'opéra en sa faveur, le nomma Bey et mit à
mort le comploteur.
Dès son arrivée en Algérie le Général Clauzel voulut céder à un
prince de la famille régnante de Tunis le Beylik de Constantine ; mais
le projet ne fut pas agréé par le gouvernement français, et cela aggrava
l'hostilité d'Ahmed contre Hussein bey de Tunis.
Ce fut pour Ahmed une nouvelle période de gouvernement, avec des
moyens nouveaux, caractérisée par une action constamment tournée contre
les Français dont il craint l'expansion; il a multiplié les contacts
avec la Sublime Porte demandant du secours et le titre de Pacha de
l'Algérie, ainsi qu'avec le consul d'Angleterre à Tunis, Sir Thomas
Reade , et avec ses partisans de l'intérieur et de l'extérieur.
La situation prend un tour nouveau avec l'arrivée du duc de Kovigo,
gouverneur Général de l'Algérie. Celui-ci dans une lettre adressée au
Ministre de la Guerre Français le 12 septembre 1832 déclare à Propos
d'Ahmed : « Ce bey n'est pas un vagabond ainsi que l'on m'en avait donné
l'opinion quand je suis arrivé, c'est le propriétaire foncier le plus
puissant de la province» . Ce fait détermina le duc de Rovigo à
envisager de conclure la paix avec Hadj Ahmed; il chargea Sidi Hamdane
Ben Othmane Khodja de négocier avec lui. Cette négociation resta sans
résultat parce que Ahmed Bey se considérait comme un fidèle sujet
Ottoman, et tout projet de paix devait être examiné avec la Sublime
Porte, ce que le Duc de Rovigo voulait éviter .
Quant à Ahmed, il a montré un attachement sincère à la Sublime Porte;
il considère le gouvernement ottoman comme responsable de la situation
et, conscient de sa force, il a poussé la province à se fortifier et à
s'armer ; il a même déclaré qu'il ne renoncerait ni à susciter des
difficultés aux Français, ni à envahir le territoire algérien non encore
occupé .
La situation durant cette période jusqu'à l'arrivée du Maréchal
Clauzel à Alger le 10 août 1835 a pris un nouvel aspect diplomatique. La
Turquie a réagi, mais avec réserve et sans résultat, en appuyant
verbalement Hadj Ahmed et en considérant sa résistance contre les
Français comme un prétexte légitime de reprendre l'Algérie aux Français
par voie de négociations et de contacts directs :ce fut la tâche de
Mustafa Kachid Pacha, nommé ambassadeur à Paris le 25 Safar 1250 (3
juillet 1834).
Le Maréchal Clauzel entreprit son expédition contre Constantine en
novembre 1836. Ce fut un échec inattendu pour les Français qui l'année
suivante virent le succès couronner leur deuxième expédition en octobre
1837, expédition qui coûta la vie au Général Damrémont et à des milliers
de soldats des deux camps .
Hadj Ahmed, dans sa troisième lettre, se présente en chef malheureux
qui souffre, qui a toujours envie de reprendre le combat et qui est
resté fidèle à la Sublime Porte jusqu'à ses derniers jours comme
gouverneur de Constantine.
Ces trois lettres nous aident à mieux comprendre une période de
l'histoire de l'Algérie, à la faire revivre avec des éléments nouveaux
et à donner des éclaircissements sur la province de Constantine depuis
la conquête de l'Algérie jusqu'à la chute d'Ahmed bey en 1848.
C'est là une étude préliminaire aux travaux que je me propose de
poursuivre sur l'histoire de la province de Constantine durant cette
période.
Abdeljelil TEMIMI
sources :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1967_num_3_1_947